Yvan [nom fictif], un retraité particulièrement fier de sa haie de cèdres méticuleusement taillée, est fumant de rage. Ce matin, alors qu’il s’est rendu dans sa cour arrière pour déguster un espresso qu’il avait préparé tel un artiste, il a constaté avec consternation que son voisin, Kaven [nom fictif], avait complètement massacré sa magnifique haie en vue d’installer une clôture mitoyenne séparant les deux terrains. Le joyau de la cour arrière d’Yvan n’est plus; c’est un désastre monumental.

Alors qu’Yvan est complètement hors de ses gonds et s’agite frénétiquement, complètement impuissant face à la situation, Kaven sort de chez lui. Ce dernier, manifestement fier de son œuvre – une véritable coupe à blanc – se retourne vers Yvan, puis exerçant son droit fondamental à la liberté d’expression, décide de lui faire un doigt d’honneur en souriant de toutes ses dents.

Il n’en fallait pas plus, Kaven a ajouté l’insulte à l’injure. Yvan explose. Cela étant dit, ce dernier, étant pleinement conscient de ses limitations sur le plan physique, sans doute puisque sa vigueur de jadis l’a abandonné par le passage du temps, se limitera à un élan oratoire : « HEY LE JEUNE, JE VAIS TE CASSER LA GEULE, TU VAS EN MANGER TOUTE UNE ». Kaven, l’air narquois et visiblement amusé par la colère de son voisin, quittera simplement les lieux à bord de sa camionnette, en ne manquant pas l’occasion d’appuyer brusquement sur l’accélérateur afin de laisser derrière son véhicule un nuage de fumée noire.

Cette situation fictive permet de discuter des éléments constitutifs de l’infraction de « proférer des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles » prévue à l’article 264.1 du Code criminel.

Essentiellement, cette infraction comprend 1) le fait de proférer ou de transmettre une menace de causer la mort ou des lésions corporelles et 2) l’intention de menacer.

Tout d’abord, quant à la qualification des paroles à titre de menace de causer la mort ou des lésions corporelles, il faut s’en tenir au sens ordinaire des mots qui sont prononcés. S’ils sont manifestement menaçants et qu’ils ne comportent pas de sens secondaire, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse. Par ailleurs, il est utile de préciser que des propos qui peuvent paraître anodins peuvent être élevés au rang de menace si, compte tenu du contexte de l’affaire, ils s’avèrent menaçants. En somme, afin de déterminer si des mots contreviennent à la disposition en cause, il faut s’en tenir au sens qu’une personne raisonnable donnerait aux mots prononcés dans les circonstances particulières dans lesquelles ils ont été proférés ou transmis.

Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que le destinataire ait été réellement intimidé par la menace ou qui l’ait prise au sérieux. Ainsi, en soi, la réaction de Kaven à la suite des propos d’Yvan n’est d’aucun secours pour ce dernier.

Cela étant dit, dans la présente affaire, d’un point de vue objectif, les paroles prononcées par Yvan pourraient être considérées comme manifestement menaçantes.

Cependant, l’analyse ne s’arrête pas là, puisque l’intention véritable d’Yvan doit également être évaluée afin de déterminer si sa conduite était criminelle. En effet, pour parvenir à une déclaration de culpabilité, il devra également être démontré que les mots menaçants proférés par Yvan visaient spécifiquement à intimider ou à être pris au sérieux. Les explications d’Yvan, dans le cadre d’un éventuel procès, pourraient être déterminantes à cet égard, puisque c’est sa perception du sens de ses paroles qui est importante.

Concrètement, Yvan aura droit à l’acquittement si l’idée ne lui a pas effleuré l’esprit que ses paroles pouvaient être prises au sérieux. Même son insouciance quant aux conséquences de ses paroles ne saurait suffire. De plus, Yvan pourra potentiellement se disculper en démontrant que ses paroles ont été prononcées pour exprimer sa frustration et non dans le dessein d’inquiéter ou d’intimider son voisin. Néanmoins, le fait qu’Yvan n'a jamais eu l'intention de mettre à exécution la menace n'est pas un élément pertinent; seule compte son intention que la menace soit prise au sérieux.

Quoi qu’il en soit, indépendamment de la décision d’un éventuel tribunal sur la question, il demeure qu’à l’avenir Yvan aurait avantage à garder son calme et à consulter rapidement un avocat afin de connaître ses recours à l’encontre de son voisin malfaiteur.

Pour plus d’information à ce sujet, n’hésitez pas à communiquer avec le bureau d’aide juridique le plus près de chez vous, où l’un de nos avocats répondra à toutes vos questions.

Sources : Martel c. R., 2023 QCCA 205 (CanLII); Veillette c. R., 2022 QCCA 477 (CanLII); Patoine c. R., 2022 QCCA 1517 (CanLII); R. c. McRae, [2013] 3 RCS 931