Chaque État est souverain sur son territoire, lequel est délimité par ses frontières. Il exerce le plein contrôle de la circulation des flux qui les traversent, flux qui sont généralement constitués de biens et de personnes. C’est ce que l’on appelle communément « passer à la douane ». Ainsi, toute personne qui désire entrer dans un pays dont elle n’est pas autorisée par ce dernier ne peut y transiter ni y demeurer.

Toutefois, cette règle ne s’applique pas aux personnes qui cherchent un refuge, c’est-à-dire la protection d’un État qui n’est pas le leur. Ce droit humanitaire à « demander l’asile » découle de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 qui fut adoptée par 142 pays suite à la Seconde Guerre mondiale.

Ce droit à l’asile fut repris au Canada dans le droit interne à travers la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. L’article 3 par. 2 d) indique que le Canada doit « offrir l’asile à ceux qui craignent avec raison d’être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu’à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités ».

La personne qui craint personnellement la persécution doit demander l’asile, prouver ses prétentions de manière objective et subjective, démontrer que l’État d’où elle provient ne peut pas la protéger et qu’elle ne peut trouver un refuge interne dans son pays d’origine. Son dossier fait l’objet d’une audition formelle devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Si sa demande est acceptée, elle obtient alors le statut de réfugié ou de personne à protéger et pourra rester de manière permanente au Canada. Dans le cas contraire, elle devra demander un autre statut d’immigration si elle y est admissible ou quitter rapidement le territoire canadien.

De ce qui précède, le principe général est qu’une personne qui arrive au Canada pour y trouver refuge doit demander l’asile à la première occasion, tel qu’un poste frontalier. Toutefois, une exception s’applique pour toutes les personnes qui arrivent par les États-Unis.

En effet, le 5 décembre 2002, le Canada et les États-Unis ont signé l’Entente sur les tiers pays sûrs (ci-après Entente). Celle-ci a pour objectif d’encadrer les flux migratoires des personnes en besoin de protection et qui transitent par la frontière séparant les deux pays. Elle oblige la personne qui cherche la protection à le faire dans le premier pays dans lequel elle se trouve. Donc si elle arrive aux États-Unis à partir du Mexique, elle doit présenter sa demande d’asile aux États-Unis. Elle ne peut pas décider de transiter par les États-Unis pour demander l’asile au Canada. Si elle le fait, le Canada va lui refuser l’entrée sur son territoire en vertu de l’Entente. Le Canada et les États-Unis sont des pays qualifiés de « sûrs », c’est-à-dire qu’ils sont protégeant pour les personnes qui y demandent l’asile. Les demandeurs d’asile ne peuvent pas faire du forum shopping, c’est-à-dire choisir le pays dans lequel ils souhaitent obtenir le statut de réfugié. Cet accord canado-américain est entré en vigueur le 29 décembre 2004.

Depuis près de vingt ans, cette Entente est appliquée rigoureusement par les deux pays, que ce soit de la migration du sud vers le nord ou du nord vers le sud. Or, quatre exceptions s’appliquent pour que le demandeur d’asile puisse choisir entre les États-Unis et le Canada pour déposer sa demande:

  • Les exceptions concernant les membres de la famille, par exemple avoir un membre de la famille immédiate qui vit dans ce pays;
  • Les exceptions concernant les mineurs non accompagnés, soit les personnes seules âgées de moins de 18 ans;
  • Les exceptions concernant les titulaires de documents, par exemple un visa, un permis de travail, un permis d’étude ou un titre de voyage valide;
  • Les exceptions concernant l’intérêt public, par exemple le fait d’être susceptible de recevoir une sentence de peine de mort.

Les personnes qui désirent se prévaloir d’une de ces quatre exceptions peuvent donc transiter par les États-Unis et se présenter à un poste frontalier canadien pour demander l’asile, demande qui pourrait être jugée recevable par l’Agence des services frontaliers du Canada en fonction des exceptions précitées.

Le 24 mars 2023, le Canada et les États-Unis ont annoncé que l’Entente serait modifiée à compter du lendemain, soit le 25 mars 2023 à minuit, pour que celle-ci s’applique à toute la frontière terrestre, y compris les passages frontaliers irréguliers, tels que le Chemin Roxham. Ainsi, les migrants qui souhaitaient se prévaloir de ce passage irrégulier et légal à ce moment avaient 24 heures pour ce faire, soit avant qu’il devienne illégal et que le refoulement vers les États-Unis prenne effet.

Cependant, le problème qui se pose est qu’il y a de nombreuses personnes qui ignorent la législation entourant ce droit humanitaire. Aussi, en plus de craindre d’être renvoyés dans leur pays d’origine où les autorités peuvent être corrompues, violentes et criminalisées, les migrants sont susceptibles d’être la proie des réseaux de passeurs clandestins et peuvent devenir des victimes du trafic et/ou de la traite humaine. L’option de tenter de traverser illégalement la frontière canado-américaine par leurs propres moyens devient donc la solution pour de nombreuses familles. Le Chemin Roxham répondait ainsi à ces problématiques. Il constituait un passage frontalier irrégulier pour permettre une migration légale et sécuritaire, soit le droit à demander l’asile, tout en évitant d’être refoulé automatiquement vers les États-Unis si une des exceptions à l’Entente ne s’appliquait pas à leur cas. Le gouvernement fédéral avait organisé et financé ce point d’accueil sur le territoire canadien et à quelques pas de la frontière pour favoriser, entre autres, le processus d’identification et d’enregistrement des migrants qui, autrement, auraient traversé la frontière sans laisser de trace. En procédant de cette manière, les demandeurs d’asile étaient pris en charge rapidement. Cela accélérait le processus pour que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rende une décision à leur endroit, en accordant ou non le statut de réfugié, conformément aux obligations internationales.

De plus, il avait été démontré que le taux de refus des demandeurs d’asile qui provenaient du Chemin Roxham était à peine supérieur au taux de refus de ceux qui se présentaient à un poste frontalier : 35% de refus pour le Chemin Roxham versus 30.5% de refus pour l’ensemble des autres demandes d’asiles reçues chaque année au Canada. Ces migrants issus du Chemin Roxham étaient originaires principalement de ces pays : le Nigeria, Haïti, la Colombie, la Turquie, le Pakistan, la République du Congo, l’Angola, le Soudan, le Yémen et le Venezuela. Les demandes d’asile en instance découlant d’arrivées irrégulières ne sont présentement que de 31%, soit moins que le sommet enregistré de 43% en juillet 2018. Aussi, lorsque l’on prend les chiffres de la population immigrante totale admise au Québec, seulement 17% correspondent à celle de la catégorie des réfugiés et des personnes en situation semblable. De plus, leur taux de chômage est à peine de 2% plus élevé que celle de la population immigrante admise sous le volet économique, soit celle sélectionnée à l’étranger pour leurs compétences en emploi.

Bref, qu’un demandeur d’asile se présente au poste frontalier ou qu’il passe par le Chemin Roxham, sa demande était évaluée de la même manière et son taux de succès était similaire. Ce passage par le Chemin Roxham demeurait une option sécuritaire et rassurante pour les personnes vulnérables, dont les familles accompagnées de jeunes enfants. Il favorisait une prise en charge efficace par les autorités canadiennes tout en déjouant le crime organisé. C’est pourquoi le Chemin Roxham a été actif pendant de nombreuses années en permettant une migration irrégulière et légale à des personnes qui craignent la persécution.

Le 16 juin 2023, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision à savoir si l’Entente sur les tiers pays sûrs était constitutionnelle en vertu de la Charte canadienne des droits et liberté (ci-après la Charte). L’appel a été accueilli partiellement. La Cour suprême confirme qu’un « risque de refoulement découlait de certaines politiques des États-Unis » et, par conséquent, que « la désignation des États-Unis comme pays tiers sûr met en jeu les droits à la liberté et à la sécurité de la personne ». Toutefois, la législation canadienne permet certaines exceptions et peut ainsi protéger les demandeurs d’asile vulnérables en provenance des États-Unis. Le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité n’est donc pas compromis en vertu de l’article 7 de la Charte. Le dossier a été partiellement transféré à la Cour fédérale pour qu’elle se prononce uniquement sur l’article 15 de la Charte en matière du droit à l’égalité étant donné « la complexité du dossier et des éléments de preuve contestés, ainsi que de la gravité de l’affaire ».

Enfin, est-ce que le Chemin Roxham va ouvrir de nouveau? Est-ce qu’une nouvelle manière de procéder va être préconisée? Le tout reste à suivre…

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